Article 10 : Bilan de l'année



Cher tous,
Je n’arrive toujours pas à réaliser que cet article est le dernier que j’écris. Comment accepter qu’il clôt cette année incroyable que je viens de vivre ? Tant que je ne serais pas dans l’avion samedi, je n’y arriverai pas. Je ne réalise pas que j’ai vécu un an chez les Karens. Un peuple fascinant, courageux, gentil et tellement beau. Des personnes incroyables qui donnent tout alors qu’elles n’ont rien.
Je me souviens de mes premiers jours ici comme si c’était hier. Je suis arrivée seule dans ce pays que je ne connaissais pas, pour faire un travail qui m’était encore inconnu. Je savais juste que je faisais quelque chose de bien et que j’allais vivre une année riche en émotion. Mais cela a été plus loin que ça. J’ai vécu des choses incroyables, indescriptibles, inexplicables. Je ne sais même pas par où commencer pour vous faire un bilan.
Quelques mots clés pour décrire mon année : amour, partage, découverte, don de soi, simplicité. J’ai rencontré des personnes qui resteront à jamais dans mon cœur et qui m’ont appris en un an plus que je n'aurai espéré. Ma vision sur beaucoup de choses a changé et mon expérience ici en est la cause. 
J’ai appris à aimer et comprendre la différence, chose qui n’est pas toujours facile en France, dans un monde moins ouvert.  J’ai appris à converser avec n’importe qui que ce soit à un arrêt de bus, à une station essence, dans un boui boui pour le déjeuner, ou sur le bord de la route. Tout le monde a quelque chose à nous apporter et à nous apprendre, et j’ai appris à donner de mon temps pour le comprendre. En France vous vous méfieriez de quelqu’un qui vient vous aborder à une station de bus. Ici, vous savez qu’il s’agit de curiosité et de gentillesse. Cela change votre vision de l’humain car ici les gens vous montrent ce qu’ils ont de meilleur à vous offrir. Oh que oui j’ai eu peur plus d’une fois, la pire étant celle ou un Karen complètement soul est venu me voir à 6h du matin avec une machette à la main et le visage en sang. Mais il venait de tomber et de se casser deux dents, et au final il voulait juste discuter avec la petite blonde qui attendait le bus. 
Les personnes ici vivent des choses tellement dures, comme nombre de français. Seulement ici cela les rend encore plus gentil et compréhensif et ils ne s’abattent pas sur leur sort. Malgré la misère dont j’ai souvent été témoin, qui est une immense difficulté et la cause de nombreuses souffrances, ils continuent d’avancer. Combien de fois j’ai entendu dans des villages le pauvre être fier de son voisin riche qui avait réussi et qui pouvait nourrir ses enfants et s’acheter une maison. Ici, un village entier est une famille. J’ai donc eu la chance de vivre dans une communauté d’entraide où les différences ne sont pas source de tensions mais d’inspiration.
J’ai vécu mes six derniers mois en totale immersion puisque j’ai habité dans le village, chez les villageois. J’ai appris à découvrir les Karens de l’intérieur, encore plus que si je vivais dans le centre catholique avec le père ou les sœurs. J'ai passé des moments merveilleux au sein de cette communauté. Bien sûr, on découvre que ce n’est pas le monde des bisounours. Comme chez nous, certains ne s’apprécient pas, certains sont jaloux, certains sont mauvais. Mais quoi qu’il arrive, cela n’empiète pas sur la politesse et le respect de l’autre.
La différence de culture a été un obstacle dur à surmonter, et il l’est encore au quotidien. Comment comprendre et accepter certaines paroles et actes de personnes qui ne pensent pas du tout comme vous ? Travailler avec des Thaïs a été quelque chose de très dur mais très enrichissant. Tellement de choses sont à interpréter différemment ici. Moi qui suis souvent cash et droite, cela a été parfois difficile de prendre sur soi et de sourire, quoi qu’il se passe. J’ai eu envie de crier, de les gronder, ou de partir sans dire un mot tellement de fois. Et pourtant je restais là à rigoler et à sourire comme si leurs paroles et leurs erreurs étaient normales. En Asie, le concept de garder la face est très important. Je vous en ai déjà parlé. Il s’agit de ne jamais manquer de respect à l’autre, quoi qu’il fasse ou dise qui ai pu vous vexer. Vous ne devez pas le vexer ou le mettre mal à l’aise en retour. En Thaïlande, ce concept est très important. Garder la face c’est toujours se montrer à l’autre sous son meilleur jour, et toujours rester poli et souriant. Bon bien sûr en allant dans les îles ce concept prend un tout autre sens, entre les tucs-tucs qui vous insultent et la vendeuse du coin de la rue qui ne vous dit même pas bonjour. Mais la Thaïlande des îles et des occidentaux n’est pas celle que j’ai connu moi. Ici, le pauvre vous invite à déjeuner en sachant que par la suite il n’aura plus rien pour lui au diner. Il vous accueillera avec ses plus beaux habits alors qu’il n’a que 3 tenues dans son « placard ». Il essaiera de toujours se montrer sous son meilleur jour et de vous cacher au maximum sa misère et son désespoir. Il restera gentil et simple, qui que vous soyez. Ici ils n’ont rien, mais ils donnent tout : à vous le blanc qui est plus riche que lui et qu’il ne connait pas, il donnera autant qu’à son voisin ou son frère qui vit à côté.
J’ai appris à vivre dans des conditions vraiment dures, et au final à trouver cela normal.  Dans mon premier article je vous disais que je ne pensais pas réussir à surmonter ma peur des araignées et des cafards qui font la taille de votre main ! Au final, maintenant c’est du gâteau. J’ai appris à dormir par terre, à passer ma vie au sol, sans chaises ni tables, et à aimer ça. Je sais maintenant manger avec les doigts, dépiauter une poule et découper un cochon. J'ai appris à pêcher, cuisiner, tisser des habits et des sacs, travailler dans les champs, conduire une moto sur des routes que vous n’imaginez même pas. Et pourtant, il reste encore tellement à apprendre ! J’ai passé une année ici et je connais encore si peu de la culture des Karens et de leurs coutumes. Je sais juste que je commençais à me sentir vraiment chez moi et j’espère que tout ce que j’ai appris me guidera pendant longtemps.
 

La seule chose à laquelle je n’ai pas réussi à me faire cette année : les douches gelées ! L’eau de Maetho et de nombre de mes programmes viennent des sources naturelles en haut des montagnes. Autant vous dire que l’eau n’est pas froide, mais gelée ! En hiver elle descendait à 10 degrés ce qui faisait du lavage de cheveux un véritable calvaire ! C’est une des seules choses qui ne me manquera pas. Bon je ne vais pas vous mentir, le réveil tous les jours entre 5h et 6h30 ne me manquera pas non plus. Quoique, j’ai réussi à m’y faire et j’ai découvert que se lever tôt offrait de belles surprises, chose que je n’aurais jamais osé dire il y a encore un an.

J’ai appris cette année à me débrouiller seule, tout en sachant que je ne l’étais pas car n’importe qui ici est toujours prêt à nous aider. C’est vrai, gonfler mes pneus de moto avec un câble sans aucune indication, je n’ai jamais eu à le faire. Réparer ma moto qui est tombée en panne 4 fois dans l’année sur une route sans réseau, je n’ai jamais eu à le faire. Il y a toujours eu quelqu’un pour m’aider, quoi qu’il se passe. Le fait d’être une petite blonde chez les Karens aide bien évidemment, mais au final il y a bien plus que ça. 


L’entraide est un besoin ici, c’est une valeur importante qui est à la base de la vie chez les Karens. Plus l’année avançait et plus je me sentais bien, surtout que la barrière de la langue est devenu de moins en moins un handicap. Cela m’a permis de sortir de ma timidité et d’oser aborder les gens pour partager cette gentillesse que je recevais. Alors j’essayais de discuter avec tout le monde, de demander à cette petite dame âgée sur le bord de la route ou elle allait pour la prendre avec moi sur ma moto, de partager mon repas avec cet enfant qui me fixait, de serrer la main au monsieur soûl qui dormait par terre et qui pourtant me souriait alors qu’il n’avait plus de dents. J’ai essayé de donner, mais je sais que ce n’est rien par rapport à tout ce que j’ai reçu. 

Comment aurais-je pu croire un jour que des choses tellement simples me rendraient si heureuse. Un monsieur qui m’offre une bouteille d’eau, un villageois qui me ramène une mangue verte après une journée dans les champs car il sait que j’adore ça, une dame qui me fait à manger et qui pense à mettre moins de piments. Ici on n’a rien, mais du coup il en faut peut pour être heureux. On apprend à apprécier les choses simples de la vie, comme un sourire. Le sourire, la plus belle chose que l’on peut donner à un inconnu pour lui transmettre de la joie et de la bonne humeur.

Je serais obligée de terminer cet article en vous parlant de mes villageoises chez qui j’ai vécu et qui m’ont tellement appris et tellement donné. A ces femmes qui ont été comme des mères pour moi cette année et qui m’ont tout donné, à leurs maris qui n’osaient même pas me parler au début et qui voulaient tuer le cochon pour mon départ, et à leurs enfants que je considère comme des frères et sœurs, un immense merci. Elles sont si incroyables, gentilles et belles. Si seulement le monde pouvait être peuplé que de personnes comme ça… J’ai passé des journées entières à travailler avec elles et des soirées entières à les écouter et à rigoler. Qui penserait un jour que ne rien comprendre et juste regarder des gens parler pouvait rendre si heureux ? Grâce à elles j’ai atteint un niveau en thaï que je ne pensais pas atteindre un jour et j’ai appris et vu des choses que je n’aurais jamais imaginées. Elles m’ont emmené dans des centaines d’endroits et m’ont fait rencontrer tellement de monde. 

Même si je sais que je vais revenir, j’ai l’impression de les abandonner aujourd’hui. Je leur laisse tout de même un souvenir de moi : Lucky, mon bébé chien que j’ai recueilli et ramené chez elles il y a maintenant 2 mois. 
Elles l'ont adopté, comme elles ont fait avec moi il y a un an. J’ai le cœur brisé de savoir que je dois les quitter et que je ne revivrais plus jamais cette année à leurs côtés. 

Toutes les personnes que j’ai rencontrées m’ont aidé et m’ont permis d’en arriver ici aujourd’hui. Tous les responsables locaux avec lesquels j’ai travaillé, les familles que j’ai visitées, les enfants avec lesquels j’ai discuté, ont fait de mon année cette expérience incroyable. Mais mes villageoises ont fait de cette année quelque chose d’encore plus fort, sur lequel je ne saurais pas mettre de mots. Elles me manquent toutes déjà terriblement.






Enfin, un immense merci bien évidemment à vous tous, pour m’avoir soutenu et aidé tout au long de l’année. Sans vous, les volontaires ne pourraient pas partir sur le terrain et Enfants du Mékong ne pourrait pas exister. J’ai vu de mes propres yeux les enfants que nous aidons ici et je peux vous dire à quel point ils en ont besoin, et à quel point ils sont reconnaissants.


 

Merci à vous tous, et à très vite, en France.
Pauh N’ Moo.
Pauh N’ Moo est mon nom Karen, le seul nom avec lequel on m’a appelé tout au long de l’année. La plupart des gens que j’ai côtoyé ne connaissent même pas mon vrai prénom. A la fin de l’année il m’est arrivé plusieurs fois d’aller dans des villages à plusieurs heures de Maetho et d’entendre : « Pauh N’ Moo, Pauh N’ Moo ». Je ne connaissais pas les personnes qui m’appelaient et pourtant elles connaissaient mon nom et savaient qui j’étais. Pauh N’ Moo veut dire « un bouquet de fleurs qui sent bon ».

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