Article 6 - Les camps de réfugiés
Bonjour
à tous. Voici un article qui sera malheureusement moins agréable à lire que
tous les autres… En effet, il y a deux semaines, je suis partie pour 3 jours
dans 2 camps de réfugiés Karens. J’étais accompagnée par 3 personnes de
l’association KWO (Karen Woman Organisation) avec laquelle nous travaillons.
Tout
ce que je vous dis dans cet article vient de l’intérieur des camps : des ONG
qui y travaillent, des réfugiés, ou encore des documentaires qu’ils m’ont montrés.
Ce que je vais vous décrire n’est qu’une infime partie de ce que vivent les
réfugiés. De plus, la situation est très compliquée et il y a énormément de
choses que je n’ai pas compris. Il faut y vivre et y travailler des années pour
comprendre le fonctionnement de ces camps. Je ne peux donc pas toujours vous
expliquer le pourquoi du comment.
Tous
les réfugiés dans les camps viennent de Birmanie où la situation est assez
catastrophique depuis très longtemps... Les minorités ethniques vivent des
choses atroces et honnêtement on se croirait de retour dans les années de l’esclavage
où l’homme se comportait comme un animal. En visitant les camps et en écoutant
les gens parler j’avais l’impression d’être dans un film. J’ai eu le point de
vue de personnes qui ont vécu des choses horribles, donc j’essaye tout de même
de prendre un minimum de recul en me disant que régler ce conflit ne peut pas
se faire du jour au lendemain. Mais cela dure depuis si longtemps…
La Birmanie compte actuellement 53 millions d’habitants, et 135 minorités ethniques. Les Bamas, ethnie majoritaire de Birmanie, représentent 2/3 de la population. Nombreux d’entre eux détestent les minorités et veulent récupérer « leur » pays. Ils sont aussi beaucoup sous le contrôle de l’armée et ne pensent pas forcément par eux même.
Il existe actuellement 9 camps de réfugiés sur le
territoire Thaïlandais, le long de la frontière avec la Birmanie. Il y a 6
camps de réfugiés Karens, dans lesquels Enfants du Mékong a 2 programmes (qui sont
à ma charge). Il y a aussi 2 camps de réfugiés Karennis, un dans lequel nous
avons un programme et un dans lequel je suis en prospection pour une ouverture
de programme. Enfin, il y a un camp de réfugiés
de l’ethnie Shan, récemment persécutée, qui vient d’ouvrir au Nord de la
frontière.
Pour
information, les camps de réfugiés Rohingyas sont au Bangladesh, de l’autre côté,
frontière Ouest de la Birmanie.
Pour
vous faire un petit rappel, ces réfugiés fuient leur pays à cause de l’armée Birmane
qui les massacre. En Birmanie, l’armée a officieusement tout le pouvoir et l’élection
de Aung San Suu Kyi ne change malheureusement rien. Dans les camps, elle n’est d’ailleurs
pas très bien vue. Ils pensent que c’est une politicienne comme les autres, et,
selon eux, elle serait prête à tout pour avoir l'armée dans sa poche.
Les
Karens seraient environ 7 millions en Birmanie, et plus de 500 000
réfugiés en Thaïlande. Ces chiffres sont très variables, et personne ne sait
vraiment. Je vous donne les chiffres de l’association KWO avec laquelle nous
travaillons.
La
guerre avec les Karens a commencé après la seconde guerre mondiale. L’armée est
arrivée au pouvoir lorsque l’Angleterre a quitté le pays et que la Birmanie est
devenue indépendante. Les massacres étaient justifiés par le fait que les Karens,
ainsi que d’autres minorités, avaient soutenus les Anglais pendant
l’occupation. Les Karens ont commencé à affluer en masse en Thaïlande en 1984. Mais
ce nettoyage ethnique n’a commencé à se faire connaitre qu’en 1988 lorsqu’il y
a eu une révolution de tout le peuple Birman contre le pouvoir. Cependant, la
situation en Birmanie reste très mauvaise, et, à part, très récemment avec le
cas des Rohingyas, c’était très caché.
En 2012, un cessez le feu a été décrété entre l’armée
Birmane et l’armée Karen. Depuis cette année-là, les Karens ne se font plus
massacrer en Birmanie. Ce qu’ils vivaient
avant, c’est ce que les Rohingyas et d’autres ethnies vivent maintenant. Je
vais être très rapide sur les persécutions de l’armée Birmane. Il s’agit de
massacres d’hommes, femmes et enfants, de viols, de villages entiers brulés, de
mines cachées dans les champs et autour des maisons, de tirs à vue sur tout ce
qui bouge, et bien sûr de batailles entre l’armée Birmane et la KNLA (Karen
National Liberation Army).
Même
si les massacres de villageois ont cessé aujourd’hui, les Karens encore en
Birmanie sont privés de tout droits et n’ont aucune liberté. Ils sont exploités
dans les champs de caoutchouc, persécutés par l’armée, ils n’ont pas le droit
de se déplacer, ils sont surveillés, leurs terres sont confisquées…
Un journaliste Karen, très connu ici, fait des vidéos et
reportages (de façon interdite) sur ce qu’il se passait et ce qu’il se passe
encore en Birmanie. Un soir, les adolescents regardaient ces films donc je suis
allée avec eux. Honnêtement les images étaient
très choquantes : enfants mutilés, femmes fuyant
les soldats, personnes âgées mortes… Je ne sais pas si c’est de la propagande
ou plutôt de l’information pour qu’ils évitent de repartir en Birmanie. La KNLA
a informé toutes les associations dans les camps qu’elle se prépare pour une
reprise de la guerre. Apparemment, l’armée Birmane se préparerait à attaquer de
nouveau… Je n’en sais pas plus et je n’ai pas trouvé d’informations médiatiques
à ce sujet, mais c’est ce qui se dit dans les camps.
La situation dans les camps s’est beaucoup dégradée
depuis ce cessez le feu de 2012. En effet, le gouvernement Thaïlandais est non-signataire de la Convention de Genève
relative au statut des réfugiés de 1951, et du Protocole de 1967, relatif au statut des réfugiés. Il a annoncé vouloir accélérer le processus de retour
des réfugiés en Birmanie considérant que leur sûreté est assurée par ce cessez le feu. Ainsi,
les aides, les soins médicaux, ou encore les rations de nourriture, ont
beaucoup diminués. Le gouvernement Thaïlandais complique aussi beaucoup les
choses quant aux inscriptions des réfugiés sur les listes de l’ONU. Les réfugiés sont inquiets et ne veulent vraiment pas
repartir. Tout d’abord, rien
n’est prêt pour leur retour, tant au niveau éducation qu’au niveau travail, santé,
endroit pour habiter… Un retour serait catastrophique
pour ces réfugiés. De plus, le cessez-le-feu est très fragile (comme je vous le disais) et les affrontements entre les groupes armés sont
sporadiques. Il y a un cessez-le-feu, surtout pour les civils, car les groupes armés
continuent de se battre de temps en temps dans les montagnes.
J’ai
entendu un spécialiste de camp de réfugiés dire que les camps de Karens en
Thaïlande faisaient partie de ceux qui s’autogéraient le mieux. A leur arrivée
il y a 30 ans, aucune organisation internationale ne les a aidés. La situation
en Birmanie devait rester très cachée et le gouvernement Thaïlandais ne savait
pas comment s’y prendre. Les réfugiés ont créé seuls leur propre système de recensement,
leur propre système juridique, ou encore leur propre système de rationnement. Entre
1995 et 1998, 12 camps de réfugiés ont été attaqués et brulés. La situation est
alors devenue critique et l’ONU et l’UNHCR (agence des Nations Unis pour les
réfugiés) sont arrivées. La Thaïlande a créé des camps « officiels »,
entourés de barbelés et surveillés par l’armée Thaïlandaise.
J’ai
donc visité les camps de Mae La Oon et Mae Ra Moe, deux camps de Karens Birmans
qui comptent chacun entre 10 000 et 12 000 personnes. Cela est peu comparé
au camp de Mae La où ils sont plus de 50 000
personnes. Pour entrer dans ces camps, je devais avoir une autorisation de la
part du gouvernement Thaïlandais. KWO l'a obtenu en disant que je voulais
visiter les camps car j'étais une donatrice.
Le
camp de Mae La Oon est construit à flanc de montagne sur plusieurs kilomètres. Il
est divisé en 15 sections, de 80 à 300 personnes, avec chacune un
« section leader ». Le camp de Mae Ra Moe serpente le long de la
rivière sur plusieurs kilomètres aussi, et est divisé en 10 sections. Dans les
deux camps, chaque maison doit porter un petit panneau, avec son numéro et sa
section.
Actuellement, on estime que 34% des réfugiés ne sont pas
inscrits sur les listes de l’ONU.
Il s’agirait de cas refusés par l‘UNHCR, d’enfants non-inscrits par leurs
parents, d’enfants arrivant seuls et n’y connaissant rien, ou encore de
personnes étant arrivées au tout début… Si un réfugié n’est pas inscrit sur les
listes de l’ONU, il est non-éligible au ressetlement qui est un programme d’accueil dans un pays-tiers.
En effet, tous les réfugiés ont la possibilité et donc l’espoir d’être accueillis dans des pays tiers (Etats Unis, Australie ou Nouvelle Zélande). Plus de 100 000 personnes ont déjà été
réinstallées dans des pays-tiers, dont les trois quarts aux Etats-Unis, de 2005
à 2015, puis en Australie, Canada, Finlande et Norvège. Cependant cela est de plus en plus difficile car actuellement tous les pays
ont tendance à fermer leurs frontières. Le
programme devrait prendre fin prochainement, et celui aux Etats Unis
est même fermé depuis 2015.
Même s’ils ne sont pas enregistrés par l’ONU, les réfugiés peuvent obtenir une carte de rationnement
pour la nourriture au bout de 3 à 4 mois dans les camps. Selon
Caritas, la diminution des financements (suite au cessez le feu) a provoqué
une baisse de 20% de l’aide alimentaire et des produits de première nécessité
attribuée aux camps. Les rations de riz sont passées de 15
kg par adulte et par mois à 12 en 2012, puis 9 récemment. De plus, la farine fortifiée n’est
attribuée qu’aux enfants ; l’huile de cuisson a été réduite d’un tiers ; et le sucre et le piment ne sont plus fournis. Durant ma visite, j’ai aidé les femmes de KWO à préparer
des petits sachets de sucre ou de gâteaux pour distribuer dans les camps pour
Noël.
L’eau est gratuite
dans le camp et il n’y a pas de problème d’approvisionnement, même en
saison chaude.
La présence des réfugiés dans le camp est
tolérée par le gouvernement Thaïlandais, mais ils n’ont pas de titre de séjour
en Thaïlande et n’ont donc pas le droit de sortir du camp pour travailler. Certains peuvent travailler à
l’intérieur du camp : professeur, infirmière et
métiers de la santé, salarié d’une ONG, responsable d’une section dans le camp,
de la sécurité, du bien-être. Ils peuvent également travailler dans les champs
des Thailandais alentours,
mais ils sont souvent exploités car leur situation
est illégale. Beaucoup de personnes restent sans travail,
et beaucoup d’enfants ne vont pas à l’école. Les
diplômes obtenus dans les camps ne sont reconnus ni en Birmanie, ni en
Thaïlande. La vie dans un camp est une question de
survie.
Au
niveau médical, la situation est très compliquée et je n’ai pas tout compris. Avant
des associations et des médecins venaient régulièrement dans les camps mais
j’ai l’impression que cela est de moins en moins le cas. Je suis malheureusement
allée rencontrer une filleule Enfants du Mékong qui est très malade. Des
médecins lui ont dit qu’elle avait besoin d’une opération du cœur dans les 6
mois pour survivre. Ses parents étaient résignés car ils savent qu’ils ne
peuvent rien payer. Ils font partie des familles qui n’ont rien à manger et qui
ne vivent que de ce qu’ils obtiennent grâce à leur carte de rationnement. J’ai
fait une demande auprès d’Enfants du Mékong et un médecin français va examiner
le dossier médical de cette petite. S’il nous donne son accord par rapport à
cette opération, nous chercherons les fonds.
Les bâtiments en dur sont interdits car le
gouvernement Thaïlandais considère que le camp est provisoire. Les bâtiments
sont faits de bambous et les toits de feuilles de palmier. Ces constructions
fragiles nécessitent d’être réparées ou reconstruites tous les ans. De
plus, les incendies sont très fréquents et très craints car tout est en bois et
en feuilles. Les seules exceptions sont les greniers à nourriture du « Border
Consortium » qui sont en dur pour éviter les vols (et
incendies).
Aucune connexion
internet n’est possible et autorisée dans le camp. Il n’y a pas non plus de
réseau téléphonique. Les habitants communiquent entre eux par talkies walkies. Cela est souvent un facteur pris en compte par les ONG
qui ont peu de moyens pour travailler.
Aucune maison n’a accès à l’électricité
même si certaines réussissent à trouver des générateurs
électriques. La
plupart des enfants utilisent des
bougies pour faire leurs devoirs, pour cuisiner et pour toutes leurs activités
quotidiennes. De
nombreux enfants vivent aussi en dortoirs, gérés par plusieurs associations. Enfants du Mékong aide KWO à s’occuper de ses dortoirs, et l’électricité y est
dispensée le soir, de 19h à 21h, depuis 2008 suite à un projet
EDM.
Au
niveau du travail, j’ai donc visité les camps, rencontré tous les filleuls et
vu la famille de certains. J’ai aussi écrit des
lettres pour les parrains pour les informer de certains changements de
situations de leurs filleuls : changement de camp, retour en Birmanie,
arrêt des études (de nombreuses jeunes filles
tombent enceintes très jeunes)... J’ai aussi fait le point sur la comptabilité,
j'ai réexpliqué de nombreuses choses aux responsables locaux, et j’ai répondu à
leurs questions…
Dans
les camps, les filleuls EDM sont nombreux comparés aux autres programmes
« normaux ». En effet, nous avons 50 filleuls officiels dans chaque
camp, et l’aide de chacun d’eux est divisée en deux pour aider deux enfants au
lieu d’un. Nous soutenons donc environ 100 enfants dans chaque camp. La gestion
du programme est très différente dans les camps de réfugiés. L’argent sert
beaucoup à acheter des kits d’hygiène (shampoing, savon, brosse à dents), des
bougies, et du matériel scolaire.
Malgré
ces 3 jours très difficiles, j’ai fait face à des enfants qui ont une belle
joie de vivre et qui sont adorables. Très timides pour les adolescents, mais
très mignons, curieux, et joueurs, pour les plus jeunes. Ces enfants ont tous
des histoires différentes et bouleversantes : beaucoup ont perdu leurs
parents ou des frères et sœurs, certains sont partis en laissant leur famille
derrière eux, certains sont venus seuls pour rejoindre des amis ou un membre de
leur famille. Parfois, j’ai du mal à comprendre comment ils sont arrivés là,
avec qui ils vivent, où ils dorment, ou comment ils mangent. Mais ils se
débrouillent tous et sont incroyables malgré leur exposition
aux abus, à l’abandon, à la violence et à l’exploitation.
Voilà,
c’était donc une expérience dure, qui fait beaucoup réfléchir. A l’heure
actuelle j’ai envie de devenir présidente de l’ONU ou alors devenir Bill Gates
bis pour donner des millions à ces pauvres gens.
Je
retournerai dans les camps en Avril car il y a beaucoup de petites choses que
j’aimerai voir avec KWO. Je vais aussi peut être aller dans un programme en
zone noire de Birmanie. C’est un programme où aucun volontaire n’est jamais
allé car la situation est très dangereuse. Apparemment cela se serait calmé.
Mais ma visite pourra être annulée jusqu'au dernier moment, cela dépendra de la
situation sur place.
Le
programme pour la suite : nouvel an au Cambodge avec d’autres volontaires,
visites des programmes où il y a quelques soucis et où je dois former les
responsables locaux, puis vrai vacances à la plage avec mes parents !!!!
A
bientôt !
Si vous voulez en savoir plus : http://www.fmreview.org/sites/fmr/files/FMRdownloads/fr/pdf/MFR30/26-28.pdf
Et de nombreux autres articles sur internet.
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